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Au Musée du quai Branly, trois anthropologues de combat

C’est une petite exposition, que l’on aurait aimée plus vaste tant elle est instructive. Elle abonde en portraits photographiques – souvent puissamment émouvants – , en correspondances, livres et archives. Elle fait voyager en Amérique du Nord, Europe et Afrique durant trois décennies. Et finit en danses et musiques, comme pour récompenser le visiteur de l’attention qui a été jusque-là exigée de lui. Car cette exposition traite d’héroïnes jusqu’ici méconnues en France, trois femmes afro-américaines qui toutes trois ont contribué à l’étude des transmissions culturelles entre Afrique et Amérique.
Zora Neale Hurston (1891-1960) est née dans l’Alabama d’un père charpentier et pasteur et d’une mère institutrice et couturière. D’abord femme de chambre, elle reprend des études en 1917 à Baltimore (Maryland) et, de diplôme en diplôme, devient, à partir de 1926, l’une des élèves de l’anthropologue d’origine allemande Franz Boas (1858-1942) à Columbia University (New York), en un temps où être femme et noire sont deux obstacles que très peu surmontent, un troisième étant sa pauvreté.
Or, Boas est alors la figure centrale de l’anthropologie aux Etats-Unis. Hurston applique d’abord ses méthodes aux populations d’origine africaine de Floride. Elle y recueille contes et légendes, proverbes et chants. Elle rencontre et interroge Cudjoe Lewis, qui passe pour être le dernier survivant du dernier transport d’esclaves africains, en 1860. Puis son intérêt se concentre sur les formes du vaudou en Lousiane et dans l’archipel des Bahamas. Elle subit une initiation rituelle et assiste à des cérémonies des cultes afro-caribéens. Simultanément, elle participe, par ses pièces de théâtre et ses nouvelles, au mouvement culturel et politique de la Harlem Renaissance.
A partir de 1926, elle est membre de la National Association for the Advancement of Colored People, sa propre vie étant parsemée d’expériences de la ségrégation. En 1937, elle publie son roman Their Eyes Were Watching God – traduit en français en 2018 sous le titre Mais leurs yeux dardaient sur Dieu (publié chez Zulma) –, autobiographie transposée devenue une référence pour les écrivaines afro-américaines, telle Toni Morrison. Mais c’est principalement son activité scientifique qui est montrée dans l’exposition, en Floride et en Louisiane.
Il est en de même d’Eslanda Goode Robeson (1895-1965), dont les voyages en Afrique de l’Est et du Sud sont mis en évidence. Issue d’une famille en partie africaine, en partie séfarade, petite-fille du premier secrétaire d’Etat noir de Caroline du Sud, elle vit une jeunesse moins difficile que Zora Neale Hurston : université d’Illinois puis Columbia pour des études de chimie, mariage avec Paul Robeson (1898-1976) en 1921 alors que celui-ci – joueur de football, baryton basse, acteur de théâtre et de cinéma – est déjà célèbre. Tout en étant son agente, elle engage des études de photographie et d’anthropologie en 1933 à Londres, à la London School of Economics and Political Science, elle aussi avec un maître illustre, Bronislaw Malinowski (1884-1942). Son premier voyage de terrain a lieu en Ouganda en 1936.
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